Through the Mirror

Le scaralarme qu’elle contrôlait se déplaçait sans bruit dans l’herbe tendre. Grisée par le sentiment de fusion charnelle qui la saisissait toujours lorsqu’elle en pilotait un, la brune réprima un frisson d’angoisse. S’il se faisait repérer, et que les blocards s’en saisissaient, la séparation entre le frêle corps métallique du visionnaire et l’esprit de la jeune femme serait brutale. Et elle comptait à tout prix éviter ce genre de situation. L’avoir vécu une fois était bien suffisant.
Tant bien que mal, il s’approchait du petit groupe. Elle l’y guidait, poussée par cette impression de devoir à accomplir. Beaucoup l’horrifiaient. Cette évidence s’était imposée à son esprit peu de temps après son arrivée au W.I.C.K.E.D, et elle n'avait jamais pu s'en départir. Arrogants, vénaux, se perdant dans leurs mensonges, s’y enfonçant à n’en plus finir, jusqu’à ce qu’ils ne puissent eux-mêmes plus discerner le vrai du faux ; ils perturbaient sa morale. C’était une matinée animée en ce qui les concernait. Tous semblaient dans l’attente, à l’entrée du Labyrinthe, peu avant que les portes ne s’ouvrent.

Soudain, un léger mouvement dans son dos perturba sa concentration. Jasmin. Elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qu’Athénadora venait de pénétrer la salle de contrôle. Ses sens aiguisés ne lui avaient jamais fait défaut. C’était peut être le seul point de sa condition de lycanthrope qu’elle ne désavouerait pas. Ou du moins pas directement. Avec désobligeance, elle avait absolument tout renié en bloc, et il lui était encore difficile aujourd’hui d’en accepter les avantages. Quant à ce qui était de les apprécier, c’était une toute autre histoire, dont les premières palabres n’avaient toujours  pas été esquissées. Pour le moment, Lindy préférait laisser décanter.

Les yeux de la brune étaient complètement absorbés par l’écran, il lui semblait impossible de se concentrer sur autre chose. Il était tout ce qui importait. Ils étaient tout ce qui importait. La manette qu’elle tenait en son poing ne semblait plus faire qu’un avec son corps. Pendant encore un bref instant, ce scaralarme serait ses yeux et ses oreilles. Sa main trembla, et il fit soudain un pas de côté, tel un être pensant désireux d’échapper à son contrôle. En réponse à cette agitation imprévue, une vibration stridente lui martela le crâne. Jamais elle ne s’y ferait.

La blonde repassait, continuant son inspection quotidienne. Un frisson traversa la jeune femme de part en part. Sans savoir d’où lui provenait cette impression, elle se sentait épiée. Elle prit une longue inspiration. Elle voulait voir leur réaction lorsque les portes s’ouvriraient. La réaction des otages. Alors qu'elle était à l'extérieur, elle aussi semblait en proie à une panique sans nom. Mais ce n'était pas d'eux qu'elle avait peur. Elle ne craignait ni le labyrinthe, ni ces occupant. Seule une âme sur cette Terre pouvait encore la surprendre. La sienne.

Car à côtoyer jour et nuit les pires déséquilibrés, ne l’était elle pas devenue à son tour ? Cette pensée l’obsédait, la rongeait sournoisement, la démolissait de l’intérieur, pièce par pièce, brisant ses belles certitudes. Elles semblaient fonder ce château de sable que l’on a bâti méticuleusement et avec assiduité, celui que l’on pointait du doigt pour mettre en reliefs sa beauté, sa grandeur ou encore la force apparente dont il faisait preuve, tenant ainsi tête aux quatre éléments. Celui là finirait sa course emporté par le vent, Mère Nature reprenant toujours ses droits. Au final, elles n’étaient que colosse aux pieds d’argile.

Sa démence à elle résidait dans une sournoise paranoïa. Elle jeta un coup d’œil derrière elle, comme si elle avait été prise en faute, avide de disparaitre à sa vue, à la vue de tous. Pourtant, sa supérieure ne semblait pas intéressée par son travail. Lindy céda à la tentation, réalisant un léger zoom sur les visages, sur ces figures détruites par horreur et hantise. Elle pourrait presque s’imaginer à leur côté, tant le miroir de verre retranscrivait avec perfection leur réalité. Si elle avançait le bras, elle pourrait les effleurer. Comme eux, elle angoissait, cependant, les racines de son effroi semblaient ancrées en elle encore plus profondément que les leurs dans la terre infertile du Labyrinthe. Elle résidait en deux mondes, faisait coexister en son être deux personnalités, chacune liée à un univers différent. Ils n'avaient qu'une seule vie à gérer, ou plutôt à préserver. Leur unique but était de se maintenir à la surface. Leur condition n'était pas enviable, mais la sienne l'était elle seulement ? Hypocrite. Sa respiration s'accéléra.

C’est alors que les portes de pierre s'ouvrirent. La fille était là, allongée à même le sol. Ses yeux semblaient perdus dans le vide. Elle regarda en direction du vampire. Avant que ses mires ne se posent directement sur la caméra. Surprise, Lindy étouffa un hoquet, coupa le contact, et se retourna. Trop rapidement.
Elle l’avait vue. Elle en était presque certaine. Chanel l’avait vue. Cependant, comment était ce possible ? Mais durant un court instant, elle avait véritablement eu l’impression qu’un lien invisible s’était crée entre leurs prunelles.

Subitement intriguée, la blonde approcha. Lindy tassa sa respiration, avant d’afficher un large sourire, toute trace de tourment l'ayant quittée. Le calme après la tempête. Douce illusion de l'esprit.

World In Catastrophe Killzone Experiment Department, généralement abrégé WICKED est une organisation créée dans le but de trouver un antidote à la Braise. Après les éruption solaires, les gouvernements internationaux restants combinèrent leurs ressources pour former cette organisation. Afin de réaliser cette expérience, ils sélectionnèrent une centaine de jeunes entre 14 et 28 ans, pour la plupart immunisés contre la Braise. Ils leur firent passer plusieurs tests comme le Labyrinthe.

L'Etat de Pennsylvanie est devenu une Terre Brûlée. Un désert de poussière plus ou moins centré autour de l'équateur comprenant toute la zone située entre les tropiques et une grande partie de l'Amérique. Les conflits ne cessent de perdurer sur le continent et les créatures surnaturelles continuent de se battre cherchant à diminuer de plus en plus la population. Le Labyrinthe n'est qu'un test afin de trouver une solution afin de sauver le monde. Mais à l'extérieur il y a un monde ravagé. La terre est dépeuplée, brûlée par un climat ardent. Plus de gouvernement, plus d'ordre et des hordes de gens infectés, en proie à une folie meurtrière, errent dans les villes en ruines.  Les seules villes encore intactes sont Charm'Hills préservée grâce au Bloc et au Labyrinthe et ainsi que Denver où la plupart de la population s'est réfugiée.

Derrière les Rocheuses se trouve le Quartier Général du W.C.K.D composé de grands bâtiments en béton reliés les uns aux autres. En plus des transplats et de la piste d'atterrissage des berg, l'accès au complexe se fait par un allée goudronnée entourée de buissons décoratifs, de parterres de fleurs et arbustes variés menant à une grande porte en verre. Les membres de l'organisation remplissent les nombreux bureaux et pièces, toutes surveillées vingt quatre heures sur vingt quatre. La plupart des salles sont équipées d'écrans de contrôle, et demandent un code ou une carte d'accès afin d'y pénétrer. Une vraie forteresse, disposant de la meilleure technologie.  

Faisant sa ronde quotidienne afin de surveiller les membres de l'organisation, Athenadora entra dans la salle de contrôle, destinée à surveiller les blocards et également à manœuvrer aisément les scaralames ainsi que les Griffeurs. Tous tapotaient sur leur clavier, calmes et concentrés. Les petits lézards métalliques et argentés semblaient bien pratiques afin de parcourir le Bloc, comme si les Créateurs étaient sur place directement. « Quelle agréable surprise, voilà notre meneuse préférée. » La jeune femme n'était pas d'humeur à plaisanter et encore moins à gaspiller son temps avec des gamins qui ont le nez collé à leur écran. « Si tu ne fermes pas ta bouche, la prochaine chose qui en sortira seront tes dents. » La plupart craignait les Créateurs. Bien qu'Athenadora était la plus clémente, les membres de l'organisation les respectaient et étaient sous leurs ordres.

Quand Athenadora fût soudainement intriguée par l'un des écrans. La brune affichait un large sourire. Le contact avait été rompu et l'image donnait sur un nouvel angle. « Que se passe-t-il Lindy ? » Celle-ci s'était retournée brusquement comme si quelque chose venait de se passer à travers le large écran. La blonde n'avait pu apercevoir qu'un court fragment. Juste une bande de blocards se tenant devant les portes.

Quelque chose se tramait. Son frère, Alexander avait tourné en rond toute la nuit. En allant à la pêche aux informations, un programmeur avoua que Chanel avait été envoyée dans le Labyrinthe. Voilà pourquoi les blocards attendaient devant les portes d'un air impatient et angoissé. « Je veux que toute l'équipe me fasse un visuel sur les blocards, maintenant ! » Les choses semblaient changer au Bloc. Ce n'était pas le moment de rater une miette de la situation.